Entré dans le monde du jazz dès l'âge de dix-sept ans en se produisant aux cotés de Jean Bonal, Jacques Vidal, Ted Hawke … Stéphane Guillaume n'a eu de cesse depuis une bonne dizaine d'années, de multiplier les rencontres et les collaborations. Parmi elles, citons celles avec Laurent Cugny, Emmanuel Bex, Randy Weston, Dave Liebman, Lucky Peterson, Antoine Hervé, Claude Barthélémy, Maria Schneider, Patrice Caratini, Quincy Jones, Claude Nougaro …Une liste bien entendue non exhaustive!
Aujourd'hui, alors âgé de vingt-neuf ans et enrichi de toutes les musiques qu'il a pu croiser sur son chemin, le saxophoniste français (qui manifeste aussi une belle dextérité sur toute une panoplie d'instruments allant des clarinettes aux flûtes, en passant bien entendu par toute la famille des saxophones) nous présente, et ce à cause d'un emploi du temps ultra chargé, seulement son deuxième album sous son nom. Le premier était sorti il y a déjà douze ans !
En prenant cette fois le temps de mettre son immense talent au service de sa musique, Stéphane Guillaume a composé Soul role comme un puzzle dont les dix pièces qui le constituent s'inspirent fortement des émotions recueillies aux quatre coins de la planète, concert après concert, séance après séance, hasard après hasard … La direction artistique de Soul role a été confiée à Daniel Yvinec qui est aussi invité à jouer de la basse sur un titre (Formica Léo). Sinon à défaut de s'entourer d'un All-Stars qui n'aurait certainement pas servi le répertoire, Stéphane Guillaume s'est " gentiment " contenté de quelques complices avec lesquels il a développé une musique personnelle, singulière, construite, exigeante mais inspirée et prometteuse.
Au fil des plages on apprécie les performances de Claude Egéa au bugle et à la trompette et de David Patrois au vibraphone et marimba. Celles de Frédéric Favarel aux guitares et de Paul-Christian Staïcu au piano et Fender Rhodes ne sont pas moins remarquables. D'autant plus que dans l'ensemble, les musiciens invités sortent souvent de leurs contextes habituels. Quant à la paire rythmique composée de Marc Buronfosse à la contrebasse et d'Antoine Banville à la batterie, elle semble parfaitement de circonstance.
Sept des dix titres présentés sont l'œuvre de Stéphane Guillaume. Coté emprunt A ciel ouvert est signé David Patrois. La ballade qui donne son nom à l'album est une composition de Hein Van de Geyn. Et l'album se termine sur une pièce inspirée par une introduction du regretté Lionel Benhamou.
« Poly-instrumentiste ». Le mot n'est pas très heureux. Dans le jazz, il s'accompagne souvent d'une nuance quelque peu péjorative. Comme si le fait de jouer de plusieurs instruments impliquait que le talent se disperse, se divise ou se dissimule derrière l'abondance. Ou encore qu'il bride l'imagination au profit de la technicité. Rien de tel chez Stéphane Guillaume. Certes, on le sait expert dans le rôle de musicien de pupitre – et à ce titre, il est l'un des plus sollicités de la place de Paris – et sa polyvalence en fait un partenaire de choix, habile à se glisser dans les habits qu'on lui tend, à sortir tel ou tel saxophone de son étui en fonction des attentes de ceux qui font appel à lui.
Pour autant, et c'est évidemment la raison pour laquelle il est aussi demandé, le musicien qu'il est très profondément, depuis un très jeune âge, ne manque pas d'âme. Comme ces musiciens qui hantaient la West Coast , Stéphane Guillaume porte en bandoulière flûtes, saxophones et clarinettes. A leur manière, il en joue en véritable polyglotte comme si la musique, cette langue universelle en constante métamorphose, trouvait à s'exprimer chez lui en différents dialectes, en différentes voix, qui reviennent toujours à la même histoire. Chez Stéphane Guillaume, en effet, les instruments ne se succèdent pas ; ils se combinent, ils se complètent, ils s'épousent. Tramage de sonorités, correspondances de timbres, association de souffles, le répertoire de ce disque est une merveille d'invention. Les alliages (auxquels prennent part les différentes guitares de Frédéric Favarel et les talents de percussionniste d'Antoine Banville) que le saxophoniste tire de ses combinaisons avec lui-même sont surprenants et témoignent de qualités de compositeur qu'on qualifierait volontiers de visionnaires car il en faut, de la clairvoyance et de l'oreille, pour concevoir une musique si riche en couleurs, aux volumes équilibrés et aux lignes claires, quand on l'édifie soi-même, en superposant les voix, en imbriquant les teintes instrumentales.
Pas plus que le précédent ce disque ne fait étalage de virtuosité instrumentale. Au contraire, dans la délicatesse de ses associations, dans la beauté fragile et aérienne qu'elle dessine, la musique reste comme délibérément à l'orée de ce qui pourrait la rendre trop démonstrative. Pas de grand solo exubérant, pas de passage en force, l'univers de Stéphane Guillaume se dévoile dans le cadre d'un groupe dont les membres recherchent un son commun, au sein duquel le moindre frisson mélodique, les détails des arrangements et la finesse de l'écriture deviennent immédiatement perceptibles. Les interventions particulière de chacun y gagnent en présence et en intensité, le solo n'apparaissant pas comme une occasion de briller mais bien comme un élément libre d'une architecture conçue avec soin. Alors, oui, de la musique recueillie sur cet album on peut dire qu'elle a trouvé ses murs – intra-muros, comme dit Stéphane Guillaume – car jamais on ne la sent manquer de fondation ni souffrir d'un quelconque vice de construction. Le maître d'œuvre a l'art de l'équilibre et de la composition. Elle est bien chez elle, et son seuil n'attend que d'être franchi par des visiteurs aux oreilles sensibles et curieuses.